Travailleur social : Immersion en maison centrale 2 : Une rencontre fascinante !
Entre l'assistante sociale et moi... en passant par eux !
Publier le 22 octobre 2014 : Regard sur la pratique professionnelle
Parlons de sa colère...
Immersion en maison centrale 2 : Une rencontre fascinante !
Pour la deuxième fois, je me rends en maison centrale accompagnée de ma collègue … Je revois des visages que j’avais croisés il y a un an.
Aseptisée de tout préjugé, vraiment, j’entre dans l’enceinte. Une salle avec des hommes de tout âge, des peines allant jusqu’à perpète !
Je ne suis pas naïve quant aux délits et aux crimes qui ont été commis…Mais là, tout de suite, ce n’est pas ce qui compte, je ne suis pas inquiète dans l’interaction à venir.
Je vais à la rencontre de ces hommes avec toute la curiosité qui me caractérise. Je parle de cette curiosité faite de questionnements, d’envie de comprendre, d’intérêt porté à l’autre. Une curiosité faite d’hypothèses, de débats, de convictions, de retouches, de contradictions, d’ajustements… toujours dans le but d’affiner ma compréhension des phénomènes sociaux.
Parce-que rien n’est figé ! Certains sont prédisposés à rencontrer les autres.
Les rencontres marquantes sont souvent, pour moi, une explosion d’émotions… Une manifestation sociale, une agitation, que je ne m’explique pas.
Et cet après-midi là, j’ai fait la RENCONTRE d’un jeune homme de 30 ans, incarcéré à l’âge de 17 ans. Il a su nous maintenir concentrées, ma collègue et moi, pendant plus d’une heure, et a suscité en nous une sollicitude certaine.
Tel un chef d’orchestre, il nous a inspiré un battement commun, bien plus que de l’intérêt.
Discours structuré, subtile, élaboré, cohérent et riche. Autodidacte, il m’a bluffée !
Je vous livre ses mots, ses concepts, ses expériences, ses réflexions… sa condition carcérale, il la réfléchit.
« Je fais partie des Détenus Particulièrement Signalés (DPS). Il y en a environ 300 en France. Ca veut dire que je suis constamment surveillé, contrôlé. Quand t’es DPS, on te change de prison tous les 2/3 mois.
J’ai fais plusieurs prises d’otages au sein de la prison pour qu’on me rapproche de ma famille. Ils ont fini par m’écouter. Ici, on ne nous apprend pas à être responsables, on est comme des enfants, des nouveau-nés. Ce n’est pas à 30 ou 40 ans que tu refais une éducation. Je ne vous parle même pas de la question de la réinsertion.
Taubira a réfléchi aux petites peines, mais pas aux longues peines. En France, on s’occupe de toi les 6 premiers mois, et les 6 derniers… et pendant 25 ans, tu n’existes pas, t’es sans contact. Tu m’étonnes qu’en sortant on ne sait rien faire qu’insulter, voler. Pas moyen de se responsabiliser, de grandir.
Le milieu carcéral c’est un système malsain, hypocrite. Tu te sens mieux dedans que dehors. Faut pas s’étonner de voir des suicides à l’approche de la sortie… ou qu’en sortant, certains font la moindre connerie pour retourner en prison.
Tu travailles mais tu n’as même pas le droit de toucher (au sens propre du terme) à ton argent. Tout passe par eux, c’est que de la paperasse. Si tu veux voir le médecin, tu dois d’abord lui écrire et attendre qu’il te réponde. On ne te laisse pas être autonome, on t’incite pas à la réinsertion…
Ce qui empêche ? En France, on a peur de la responsabilité. Pour les conditionnelles, le juge fait appel à un expert psy pour se déresponsabiliser. Souvent elles sont refusées pour des « et si…» et des « peut-être » quant à la récidive.
On aime créer de la peur. Mais faut savoir qu’en 100 ans, la récidive n’a pas augmenté, elle est toujours à 1% (je n’ai pas vérifié les chiffres) ! La sortie n’est pas préparée, contrairement aux pays nordiques, notamment en Suède, où on prépare la sortie au moins 10 ans avant.
On créer de la peur. Pourquoi ? Car c’est un moteur de réélection pour les hommes politiques, pour faire passer les lois pour des condamnations plus lourdes, pour inciter les jurés populaires. Moi, mon but c’est de sortir entier, pas dézingué. Aujourd’hui, pour sortir de prison saint d’esprit, il faut une sacrée volonté, une volonté de malade.
Quand t’es enfermé, les émotions c’est multiplié par 10 : la colère, la tristesse…ça laisse beaucoup de traces, ça a des répercussions morales, voire physiques. J’ai été incarcéré à 17 ans, j’ai pris pour 8 ans. On ne m’a pas laissé ma chance.
A 12/13 ans, si tu n’as pas une structure qui t’accompagne, la délinquance, c’est une obligation !!! Je suis rentré dans un engrenage. Mes délits en tant qu’adulte, c’est un choix.
Ce n’est pas en prison que je vais vivre dans la légalité, à 6 mois de ma sortie j’utiliserai l’hypocrisie de leur système, je ferai semblant.
Ici je ne peux pas faire ami avec les pédophiles. Leur place n’est pas en prison, mais en hôpital psychiatrique. Tu ne peux pas résumer ce qu’ils font à une simple pulsion, c’est une maladie. Je ne les juge pas, mais je ne peux pas.
J’ai gardé des contacts avec l’extérieur, j’ai une femme, rencontrée ici (sœur d’un détenu), et un enfant, et oui un bébé « parloir ». Il existe des Unités de Vie Familiale (UVF).
Quand tu ne gardes pas de liens, c’est le début de la fin, la désocialisation. Mais quand t’as une famille, t’as plus d’inquiétude. Je comprends les détenus qui coupent tout lien avec l’extérieur. T’enlèves une souffrance… pour en apporter une autre. Certains vont préférer la solitude que l’inquiétude liée à une famille.
Moi je ne peux pas être seul, ça donne que du mauvais, j’ai plus de freins ! Ce que j’ai trouvé dans la délinquance c’est l’argent et l’adrénaline ! Y’en a qui font des sauts en parachutes ou qui roulent à 200km/h…Moi j’aime ce sentiment de se créer de la peur, de l’angoisse à travers mes délits.
Je fais du théâtre. Ça me permet de me créer de fausses émotions, y a du vice là-dedans, ça peut servir à manipuler ! Quand je pense à ma famille, je me dis le temps ne se rattrape pas, mais ça s’oublie.
En maison centrale, tu deviens automatiquement patient, tu ne l’apprends pas ! »
Il a pris pour 30 ans, il est à la moitié de sa peine. Il nous a précisé que son affaire avait été médiatisée, que Canal+ lui aurait proposé de faire un reportage, qu’on lui aurait également proposé d’écrire son récit de vie.
Je sors de là encore transportée par la qualité du discours, la puissance de ses mots, la magie du personnage. Personnage qui doit faire partie, selon nos hypothèses, du grand banditisme…
Et puisque son histoire à été médiatisée, et qu’il l’a répété plusieurs fois, je décide, le lendemain, de poursuivre le lien avec lui, je tape son nom et je lis :
« Placé en foyer après une enfance cabossée, il est condamné pour viol sur un camarade à l’âge de 16 ans. Il purge actuellement une peine de trente ans de réclusion criminelle — dont vingt ans de sûreté — pour avoir égorgé son codétenu »…
Un « enfant de la prison » … aurait résumé son avocat !
Source : http://belarbidalila9.wordpress.com/2014/10/29/immersion-en-maison-centrale-2-une-rencontre-fascinante/
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